dimanche 29 mai 2011

jouer défoncé

Certains se disent sûrement que ce blog est en train de prendre une drôle de tournure depuis mon retour et que j'en profite pour y exposer mes problèmes d'addiction de manière subtile.

Que les âmes tourmentées se rassurent! Je mène une vie en tous points conforme aux préceptes de l'Eglise, puisqu'il paraît que chez les Catholiques on boit du vin à la messe. Mais je souhaiterais aborder un sujet grave, car la vie de musicien n'est pas toujours facile, et nous, forçats du divertissements, nous ne faisons pas que souffler dans un tuba en costume à paillettes à la Fête de la Bière. Le trac est un ennemi terrible et le moins qu'on puisse dire, c'est que pour le conjurer, certains et certaines n'y vont pas de main morte!

Au cours de ma première année sabbatique (entendons-nous bien: AVANT la mort de Barbara), pendant laquelle j'ai parcouru les routes pour jouer sur les instruments les plus improbables, j'ai ainsi partagé les claviers avec un collègue dans une grange. Comment cet orgue de 8 mètres s'était-il retrouvé face à un mur de bottes de paille? Une mésentente entre le pasteur et son organiste, si je me souviens bien, et à présent, pour écouter le monstre, il fallait enjamber un barbelé distendu, longer un couloir de clapiers et s'asseoir sur d'épais bancs de ferme qui grinçaient dès qu'on y décalait une fesse.

Donc nous jouions ce soir-là devant une dizaine de familles, plus quelques bêtes. Alors que nous venions d'attaquer la transcription d'un concert spirituel de Buxtehude par Boney M, mon voisin de tabouret s'écroula le nez sur les aigus. L'air de rien, je fis en sorte de couvrir au mieux sa défaillance (en le poussant discrétos du coude et des hanches, jusqu'à ce qu'il se retrouve par terre) et sauvai le concert. Il m'expliqua plus tard que pour se donner du courage, il avait bu quelque tord-boyaux offert par un paysan du coin, alors qu'il venait juste de prendre son cachet contre la dépression. Puis il referma les yeux et le lendemain aux aurores, quand je repris ma route, il dormait encore. Depuis, j'ai appris à reconnaître les signes, et je ne me livre plus au quatre mains sans m'être assuré de l'état de mon partenaire.

C'est pourquoi hier soir, à Pleggel, quand la soliste coréenne a manqué de s'asseoir à côté de la banquette, mes oreilles internes se sont mises à retentir plus fort que les sirènes de la Luftwaffe. Pourtant, les organisateurs avaient voulu me mettre aux petits oignons en invitant la lauréate d'un prix international pour jouer mes cantates. J'étais plus qu'honoré: une brillante interprète avec des références longues comme le bras, qui arrivait légère dans sa robe de sirène, le visage déjà fermé par la concentration. Tu parles, elle était complètement stone!

Quand elle a posé ses mains sur le clavier, ma première pensée a d'abord été: "tiens, ils m'ont remplacé par un programme contemporain!" Puis la trombine de l'organisateur m'a éclairé: la fille sur le podium jouait n'importe quoi! Avez-vous idée de la torture de devoir rester assis à écouter votre oeuvre qu'on massacre? Moi pas du tout, car j'ai foncé, pris la soliste sous les aisselles, l'ai remise à un gars de la sécurité qui s'était opportunément précipité, et me suis installé aux claviers. Sans fausse modestie, il paraît que Pleggel n'a jamais entendu si bon organiste. Je le tiens du patron du bar de la salle, un fin connaisseur, qui pour l'occasion a effacé mon ardoise et m'a offert la tournée. Il vous embrasse. Tschüs!

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